Toubab, toubab ! / 14
Toubab, toubab !
Je suis au Sénégal, tout près de la Casamance.
Sixmille, mon premier projet photo, qui suit pendant un an le quotidien d’un groupe de jeunes rappeurs carolos, est à peine clôturé que je me retrouve en Afrique.
Pendant un an, j’ai écouté leurs histoires du bled, j’ai observé leur façon d’agir, j’ai cherché à comprendre leur manière de raisonner. L’envie de voir de mes propres yeux ce dont ils parlaient, bouillonnait en moi.
Arrivée à l’aéroport de Dakar, on embarque dans une camionnette noire, on traverse la ville et on en sort. On roule plusieurs heures à travers un paysage aride et terne. Je m’attendais aux paysages d’agences de voyage, à des décors dont les couleurs sont en vibrance +67. Mais ce que je vois, c’est du sable rouge et des broussailles. La proximité du désert. Et cette chaleur qui te colle au siège, cette pellicule de sueur qui deviendra ta seconde peau. Mes yeux rafalent et enregistrent. Presque de la 4K. L’odeur des poissons sortis depuis trop longtemps de l’eau. On arrive, enfin. Il fait noir, je ne vois rien autour de nous à part la grande maison de blocs gris en béton. Les lampes frontales sont de sortie. On se pose à l’intérieur, à même le sol et on nous apporte un grand plateau de riz avec des boulettes de poisson. On mange à notre faim, sourna. Le sentiment oppressant de ne jamais pouvoir être seule m’accable, d’être devenue une curiosité, de fuir ces enfants me courant après en criant «toubab! toubab! toubab!». Tous les jours, juste avant 19h, la nuit tombe et chacun rentre chez soi pour rompre le jeune. C’est là où commence mon errance, où je capte enfin l’atmosphère de cette terre. Ce projet, c’est un mois et demi de confrontations entre moi-même et mes constructions mentales européennes. C’est 3 semaines de ramadan dans une maison sans eau courante ni électricité, perdue au milieu de nul part et 3 semaines en banlieue de Dakar. C’est une langue que je ne comprend pas. C’est de longs voyage dans tout le pays pour rendre visite à la famille de ma tante. C’est du thiéboudiène tous les deux jours. C’est des regards constants, intrigués ou méfiants face à ma blancheur. C’est cette conception du partage et de la communauté qui semble innée chez eux.
Toubab signifie personne à peau blanche en wolof.